1896-1919
Naissance à Amiens dans une famille modeste. Très tôt attiré par la peinture, il suit l’enseignement du sculpteur Albert Roze qui le recommandera à Berthold Mahn, un de ses élèves travaillant à Paris dans un atelier situé rue de Seine. Il y fera – avec Eugène Corneau qui deviendra un de ses plus fidèles amis – son "apprentissage de dessinateur". Il a alors seize ans, se trouve sans ressource et gagne difficilement sa vie en dessinant des lettres d’imprimerie.
Mobilisé le 15 avril 1915 à Nieuport ; à Verdun en août 1917 puis libéré après avoir été cité pour son comportement exemplaire comme agent de liaison, en 1919.
1919-1922
Il reprend ses activités dans l’imprimerie tout en peignant des paysages des bords de Seine et des compositions. Il effectue même des dessins humoristiques et des illustrations de réclame dans des journaux, des maquettes de costume pour Marthe Ray. Mariage en 1920. Naissance de son fils Bernard en 1922.
1922-1929
Nombreuses expositions et séjours répétés en Bretagne (Belon-Cravant), dans la Manche (Boulogne-sur-Mer), dans l’Yonne (Vallaux).
1930-1933
Nommé sociétaire du Salon d’Automne. Travaux d’illustration : RAS d’Ed. Deverin en 1930 ; le Cabaret d’A. Arnoux (1931).
1933-1935
Il obtient la bourse Abd-El-Tif qui "vint le délivrer d’une situation matérielle impossible" en lui apportant enfin la sécurité de pouvoir peindre "libéré", ce qu’il fit le lendemain même de son arrivée sans le moindre temps de mise en route. On peut dire qu’il connut l’Afrique du Nord "exclusivement le pinceau ou le crayon à la main" (Marcel Damboise). Il y restera de 1933 à 1935, années pendant lesquelles il réalisera un nombre impressionnant de toiles. Certaines d’entre elles seront envoyées pour être exposées au Salon d’Automne (cf. critique infra).
Très affecté par le décès subit de son épouse Lucienne d’une crise cardiaque, peu après leur installation, de bonheur ! Selon des amis proches qui ne faisaient pas preuve d’une grande perspicacité médicale, certes, mais nous informaient de façon indirecte sur les difficultés financières affrontées jusque-là par le couple, il va voyager dans le Sud algérien et au Maroc, ce qui sera l’occasion pour lui de réaliser de nombreux dessins et aquarelles.
Il épouse à son retour Denise Titre qu’il va représenter dans de nombreuses toiles ultérieures. Cette union étonnera beaucoup d’amis parisiens compatissants qui imaginaient difficilement que ce veuf de 39 ans impécunieux et qui était en outre père d’un enfant, puisse se remarier. Il trouva cependant contre tous ces sombres pronostics, Denise Titre, une ravissante jeune fille de 26 ans, fille aînée d’un "colon" avec lequel il entretiendra ultérieurement une correspondance régulière (cf. extraits chapitre XVII), et qui le soutiendra jusqu’au bout sans défaillance.
1935-1939
Retour en France et séjours répétés en Provence : 1936, Saint-Rémy de Provence ; 1937, Graveson près d’Avignon ; 1938, Saint-Paul-de-Vence (le prix de la ville lui aurait été décerné en 1937 avec une bourse lui permettant d’y vivre six mois).
Fait la connaissance de Giono Saint-Paul-de-Vence "un homme très simple, tel que je l’imaginais ; on a tout de suite été copains ; il nous a invités à sa maison du Contadour pour plus tard".
Installé à Paris dans un bel atelier au 4 Square Desnouettes dans le XVe arrondissement, il va, au cours des brèves années qui lui restent à vivre, exécuter de nombreuses natures mortes et s’attaquer des compositions plus ambitieuses : "les choses importantes" qu’il regrettait de ne pouvoir faire jusque-là (cf. lettre Charles Titre de juillet 1936). Il revient à plusieurs occasions sur cette évolution de son art et fait de nombreuses allusions dans ses courriers des études préparatoires à ces réalisations, pensées, composées, qu’une commande d’État concrétisera au début de l’été 1939.
Il s’agit très vraisemblablement des Loisirs, décoration "à fresque" du lycée de Pontoise dont il nous parle avec un peu d’appréhension en raison de sa taille inhabituelle (7m x 3m) et du risque nouveau pour lui, risque occasionné par un travail dans lequel "le repentir" est exclu. Il en a choisi le sujet et le décrit ainsi : "détente après un travail fécond : au centre un groupe de jeunes gens en tenue de sport, les uns viennent de nager, les autres de jouer au ballon, l’un brandit un livre et recommence une discussion : à gauche une jeune femme joue avec un chien cependant que trois jeunes gens derrière un petit mur, tout près, s’amusent eux aussi de son jeu ; à droite, deux femmes assises et un homme debout parlent entre eux ; d’autres personnages moins importants circulent dans le paysage traversé par une rivière tranquille".
Sa femme Denise servira de modèle pour six des personnages, son fils Bernard pour la plupart des personnages masculins.
1939-1940
Richard Maguet, mobilisé à nouveau, à 44 ans ! dans un régiment de spahis ! ne pourra pas réaliser ce grand œuvre dont nous ne connaîtrons que cette esquisse peinte en format réduit au tiers, qui nous séduit, mais ne peut nous empêcher de regretter la transcription définitive prévue, la fresque qui devait orner les murs du lycée de Pontoise. Ses courriers à son ami Marcel Damboise, datés de cette époque, dépeignent, de façon très laconique mais, par cette sobriété même, peut-être encore plus poignante, son désarroi : au dénuement le plus profond et, en raison de la guerre, inéluctablement insoluble à court terme, s’ajoutait l’obligation d’effectuer des travaux de manœuvre qui, "en dépit de sa médaille militaire, tombèrent sur ses épaules, les gardes d’écurie succédant aux non moins pénibles gardes de police" (Henry Portal, cf. texte cité). Ils étaient humiliants ces travaux, surtout pour un artiste souhaitant ardemment "reprendre ses pinceaux et sa palette". La solitude aussi, particulièrement insupportable pour cet homme si sociable, si avide d’amitié qui "ne pouvait vivre sans être entouré" : "pas même un copain… un copain avec qui parler de ce qu’on aime…!" Pas même cette camaraderie qu’il avait connue et appréciée dans les tranchées à Verdun… : au contraire une hostilité sourde de la part de ses compagnons d’infortune ! Les comportements diffèrent en effet selon que l’on est le "soldat d’une guerre victorieuse" ou celui d’une "guerre perdue" : la générosité, la compassion sont plus fréquentes dans le premier cas : Vae Victis… !
Il est probable que le chrétien qu’il était devenu, s’éloignant insensiblement d’une tradition familiale apparemment agnostique, lui qui la dernière année de sa vie se rendait à la messe dominicale avant une visite tout aussi rituelle au Louvre, qui se reprochait “de ne pas être assez chrétien”, qui appréciait le "Qui tu es" de Paul Claudel et le "Carnet de Guerre" de Daniel Rops, dont il conseillait la lecture à son ami, lui qui privilégiait de plus en plus les sujets religieux dans ses compositions, aurait alors pu prononcer, si son humilité profonde ne l’avait détourné d’une assimilation aussi osée, les fatidiques paroles tirées de l’Imitation devenue depuis peu son livre de chevet : "mon père vous m’abandonnez"…
Richard Maguet, "victime isolée d’une guerre perdue" va disparaître, à Sully-sur-Loire le 16 juin 1940, sous la mitraille des avions italiens lors de la débâcle. Son corps ne sera jamais identifié.